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" Книга - друг челавека. " (Livre - ami de l'Homme)

- Proverbe Russe

27 oct. 2010

Rosebud.

       Je viens d'écouter Citizen Kane pour la énième fois. Grands Dieux que ce film est incroyable. Un grand classique du cinéma, un film fondamental dans la construction du cinéma moderne.

       Pour ceux qui ne l'auraient pas vu, il s'agit de la biographie fictive de Charles Foster Kane - basé sur la figure réelle de William Randolph Hearst. Kane est un magnat des communications, un des hommes les plus riches et les plus influents au monde. Adopté dans son jeune âge par un riche investisseur, trainé loin de ses parents biologiques pauvres, il obtient une vie de rêve, une vie de laquelle il peut faire ce qu'il désire. Tout au long de sa vie, cet homme, Kane, ne connait réellement qu'une seule situation : un dilemme émotionnel dans lequel il tente de « persuader » les gens qu'il les aime tellement qu'ils devraient l'aimer lui, en retour. Ce film est l'histoire d'un homme triste, qui a tout gagné et tout perdu à la fois, qui n'a jamais pu satisfaire ses véritables besoins. Rosebud, l'élément central de l'énigme du film, est le mot que Kane prononce au moment de sa mort, le dernier mot qu'il prononce.

       Ce mot, Rosebud, des reporters tentent de trouver ce qu'il signifie. À cette fin, ils creusent toutes les sources d'information possibles - journaux intimes, gens qui l'ont côtoyé, etc. Ils ne trouvent toutefois jamais la clé de l'énigme. Seul le spectateur se voit offrir cette réponse : Rosebud est le mot écrit sur le petit traineau à neige que Kane possédait dans son enfance, lorsqu'il était chez ses vrais parents. Ce traineau, il l'a gardé tout au long de sa vie. Rosebud, le nom de son traineau. Le symbole d'une vie qu'il aurait pu vivre, d'une autre identité qu'il aurait pu revêtir, d'un autre lui. Le symbole d'un autre chemin.

       Sur son lit de mort, un grand magnat des communications, un homme riche possédant des milliers d'oeuvres d'art, un ranch plus grand que l'état du Rhode Island, tout le pouvoir du monde, pense à l'autre vie qu'il aurait pu vivre, s'il n'avait pas été adopté par le richissime homme d'affaire.

       Cette réalisation porte à réflexion. Je me suis retrouvé à me demander si ma vie aurait été meilleure si les choses avaient pris un cours différent à certains points. Si telle ou telle chose s'était produite différemment. Ce genre de réflexion peut sembler malsain : ce qui est arrivé est arrivé, il ne sert à rien de divaguer sur ce qui aurait pu être, ce qu'il aurait pu se produire. « Avec des si, on mettrait Paris en bouteille. »

       Mais un homme, sur son lit de mort, se pose encore cette question. Le doute est constant, il gruge et défigure une vie entière. La recherche de l'amour des autres pousse un homme à se demander s'il n'aurait pas mieux vécu si le point tournant, l'élément majeur de sa vie ne s'était jamais produit. L'être humain est fait de cette manière - le rapport au temps est quelque chose qui va hanter tous et chacun, souvent sans même que l'on s'en rende compte. On respire constamment, parfois sans s'en rendre compte - un geste tellement habituel qu'on l'oublie : le rapport au temps est semblable. On l'oublie.

       Plusieurs moments de ma propre vie ont cette caractéristique : et si cet événement s'était produit différemment? Et si, durant mon voyage en Islande, mon bâton de marche ne m'avait pas empêché de faire une chute vers une falaise haute de 20 mètres? Et si, en sixième année du primaire, je n'avais pas été harcelé de manière constante par des enfants en quête de divertissement? Et si mes parents ne m'avaient pas encouragé à écrire dès mes premières années d'école? Tellement de questions qui vont toujours rester sans réponse. On peut aussi bien demander : et si les Espagnols n'étaient jamais débarqués en Amérique du Sud, que seraient les Incas à notre époque?

       Ces questions ont beau avoir l'air vaines, elle sont tout de même suffisamment puissantes pour habiter l'esprit d'un Homme de très forte manière. Il doit bien y avoir une raison à cela. Ce questionnement est d'une telle voracité qu'il s'impose irrévocablement, remet en question le rapport que nous entretenons avec le temps qui passe, avec l'impossibilité de revenir en arrière. Le passé n'existe que dans notre tête, jamais ailleurs. Il n'est qu'une illusion. Et notre questionnement se pose donc face à cette illusion de ce qui a été et jamais plus ne sera. L'Homme est un animal un peu bête, parfois - même souvent. Enfiler des pantalons, faire exploser une bombe atomique - mais être incapable de gérer vraiment son rapport avec un concept aussi fondamental que le temps.

       Drôle de monde que le nôtre, drôle d'espèce que l'Homme. Un singe en complet cravate qui nage dans une eau boueuse.

26 oct. 2010

Écrire.

Saint-Jérôme écrivant, de Caravaggio
       J'allais répondre au billet de Benoît Bourdeau, mais je me suis rendu compte que j'en avais plus long à dire que ce que je croyais. J'ai donc décidé d'en faire un billet.

       Je répondais à ce commentaire de Benoît :

« J'écris parce que j'aime ça. Qu'on le veuille ou non, inconsciemment, le but à atteindre est la publication. C'est toujours valorisant de savoir que notre produit est bien.

je crois que quelqu'un qui joue de la musique veut être écouté, celui qui écrit veut être lu et celui qui écrit des scénarios de films veut être vu


Cependant, il ne faut pas que cela devienne un fardeau ou une obligation, sinon, où est le plaisir? »

       « Inconsciemment, le but à atteindre est la publication » : d'accord.

       « C'est toujours valorisant de savoir que notre produit est bien » : en effet, mais est-ce qu'on écrit pour avoir des tapes dans le dos à chaque phrase qu'on compose? Je comprends ce que Benoît voulais dire et je crois que vous comprenez également ce que je tente de dire.

       Il faut que la motivation première en soit une qui se suffit à elle-même. Publier, pas tellement pour être lu, mais plutôt pour avoir le sentiment d'avoir accompli quelque chose dans le cadre du système littéraire moderne. La publication, c'est une consécration, c'est se faire dire qu'on joue dans la cours des gens sérieux. À notre époque où n'importe qui peu le faire sur internet, publier, c'est aussi un peu une blague.

       Écrire parce qu'on aime ça, d'accord. Mais c'est pas suffisant, sinon personne ne publierait. Publier pour être lu, exprimé de cette manière, on peut pousser ça un peu et aller voir ce qui se cache derrière.

       Je propose d'établir clairement la différence entre « être lu » et « partager un texte. » Quand on écrit, il y a une énergie qui se fond dans les mots qu'on pose sur la page, une énergie qui nous habite et qu'on transfert aux mots. Le texte, ici, prend le sens d'idée. Partager un texte, partager une idée. L'énergie qu'on infuse dans les mots en est une qui passionne, qui donne envie de créer dans le seul de rendre sa liberté à la création. Prendre plaisir à lui donner naissance et la regarder partir, voir les réactions qu'elle provoque. L'idée devient indépendante du créateur - concept de base auquel Barthes a consacré beaucoup de temps, entre autres le magnifique texte La mort de l'auteur. Elle s'insère dans l'esprit des autres et c'est magique de voir ça. Je crois que c'est ce partage qui compte réellement, pour quiconque aime créer. Le plaisir de brasser des idées, réfléchir et d'interagir. Il n'est question nul-part d'une soif de tapes dans le dos, il est question seulement d'êtres humains qui prennent plaisir à réfléchir ensembles : l'être humain est un animal social.

23 oct. 2010

Extrait.

       Mon cours Atelier d'écriture II lors duquel j'ai eu la chance d'avoir René Lapierre comme enseignant a été un point tournant excessivement important dans mon rapport à l'écriture et à la lecture, dans la manière que j'avais de m'exprimer par écrit et de comprendre les écrits des autres.

Chemin de fer trans-sibérien.
       Comme travail de fin de session, M. Lapierre nous a demandé de composer un essai réflexif sur notre rapport à l'écriture. Cette réflexion/composition a elle aussi été d'une énorme importance pour moi. La confiance que j'y ai acquise a été déterminante, complémentaire à celle que j'ai acquise durant l'atelier même.

       J'ai décidé de publier ici une partie de cet essai, partie qui précède la conclusion. Je ne suis pas absolument certain de ce que je désire accomplir en publiant ça ici. Je crois que j'ai simplement besoin de partager le fil de mes pensées avec d'autres.

       J'en publierai peut-être d'autres extraits éventuellement.



Voyages
Le mouvement représente mieux l'écriture que la destination – cela m'est clair. La vie même est un mouvement, et son langage s'élabore de diverses manières; dans mon cas, par l'écriture, entre autres. « […] La pensée peut secouer son modèle [en se définissant] dans le mouvement d'apprendre et non dans le résultat de savoir.1 » Ou encore : « Ce qui compte dans un chemin, ce qui compte dans une ligne, c'est toujours le milieu, pas le début ni la fin.2 » Jaillir du milieu, donc, en cours de route. C'est le cheminement à travers (autour n'existe qu'en théorie; dans les faits, tout est toujours en travers de quelque chose) qui offre des vues intéressantes, desquelles on pourra se nourrir. L'image du train en représente l'essentiel. La présence se résume à la ligne, dans sa continuité, son mouvement – le début et la fin sont élidés, ou plutôt, transfigurés. La pensée n'est pas faite d'une simple ligne, mais de plusieurs – et début et fin existent tout de même sous la surface, de manière éphémère. Ils ne résistent aucunement au temps; ils deviennent des traces dont on peut avoir un souvenir presque insaisissable : des points de rencontre. Les idées se fondent, évoluent. L'horizon intellectuel jouant son rôle, ces idées s'agglutinent à notre imagination – les moments délicieux de Camus. Mon rapport à l'écriture est donc fondamentalement dynamique. Ce que j'écris honnêtement aujourd'hui sera peut-être pour moi un mensonge demain, ou en était peut-être un hier; qu'importe. L'honnêteté ne peut s'établir que dans l'ici et le maintenant. La seule temporalité divergente qui soit d'une réelle importance est celle qui place l'auteur avant son œuvre : « l'Auteur est censé nourrir le livre, c'est-à-dire qu'il existe avant lui, pense, souffre, vit pour lui.3 » Tout le reste est présent, sans début ni fin.


1Gilles Deleuze et Claire Parnet, Dialogues, Paris, Éditions Flammarion, 1996, p.32.

2Ibid, p.37.

3Roland Barthes, Le bruissement de la langue, Paris, Éditions du Seuil, 1984, p.64.

20 oct. 2010

Relire. Revoir. Ré-écrire. Repenser. Rechercher. Revivre. Re.

       J'ai fait des recherches, ces derniers jours. Grâce à des carnets tenus par les Jésuites dans lesquels ils tenaient compte de ce qui se passait dans les colonies, j'ai découvert que mon ancêtre est arrivé en Amérique en 1641. Un homme de 24 ans, seul. Sa mère, restée en France, est morte 4 ans plus tard. J'imagine difficilement les adieux qu'ils se sont faits.

       La famille entière est descendue de ce seul homme, un bâtisseur, un self-made-man qui ne savait même pas signer son propre nom en mettant les pieds sur le nouveau continent. À sa mort, il était comptable pour Samuel de Champlain et juge seigneurial, un homme important possédant une  bonne librairie dans un monde où les livres étaient une denrée rare. Entre ces deux événements, il a été maître charpentier et a participé à la construction de forts près de Trois-Rivière. Il a aussi participé à une attaque contre les Iroquois, comme volontaire - puis il est resté captif des amérindiens pendant 11 semaines, avec deux de ses camarades. Seulement lui et un camarade sont revenus - l'autre a été brûlé par les Iroquois.

       J'ai découvert ça et puis je me suis senti fier. Je me demande si cet homme a pensé un seul instant qu'un de ses innombrables descendant serait fier de lui 400 ans plus tard.

       Je pense prendre son nom comme un de mes noms de plume.

*     *     *

       Revoir un film, pour mieux le comprendre. Ça m'arrive, quelques fois. Hier, j'ai ré-écouté Made in U.S.A. de Jean-Luc Godard. Je n'ai pas grand chose à en dire, à part que le cinéma, c'est plus vaste que ce que le divertissement nous laisse croire. Le langage est complexe, riche, beau. Une image peut être comprise peu importe la langue que l'on parle - de la musique visuelle. Des émotions, ça n'a pas besoin de mots - d'ailleurs, les émotions sont quelque chose de trop important pour qu'on les fixe à des mots.

*     *     *

       J'ai cette chanson dans la tête depuis quelques jours. Je l'écoute souvent. Je la joue aussi. Les paroles me parlent. Schism, du groupe de métal progressif Tool, tiré de l'album Lateralus.

"Schism"

I know the pieces fit cuz I watched them fall away
Mildewed and smoldering. Fundamental differing.
Pure intention juxtaposed will set two lovers souls in motion
Disintegrating as it goes testing our communication
The light that fueled our fire then has burned a hole between us so
We cannot see to reach an end crippling our communication.

I know the pieces fit cuz I watched them tumble down
No fault, none to blame it doesn't mean I don't desire to
Point the finger, blame the other, watch the temple topple over.
To bring the pieces back together, rediscover communication

The poetry that comes from the squaring off between,
And the circling is worth it.
Finding beauty in the dissonance.

There was a time that the pieces fit, but I watched them fall away.
Mildewed and smoldering, strangled by our coveting
I've done the math enough to know the dangers of our second guessing
Doomed to crumble unless we grow, and strengthen our communication.

Cold silence has a tendency to atrophy any
Sense of compassion
Between supposed lovers/brothers


       C'est une de ces chansons qui porte des émotions complexes, sans que les mots aient à intervenir. Une de ces phrase d'un langage universel. Un film sans image. Une histoire sans mots.
       Et le texte nait de lui-même à travers ça.

*     *     *

       Je retravaille des textes, et j'en commence de nouveaux. J'ai beaucoup d'idées, mais elles ne sont pas encore mûres. Quand j'étais jeune, j'adorais grimper aux arbres pour aller chercher des pommes - ou pour ne rien aller chercher du tout. Les pommes, c'est meilleurs quand on grimpe pour aller les chercher. Ça a l'air simple, dit comme ça, mais faut pas se laisser berner. Aller aux pommes, ça signifie quelque chose. Maintenant, mon pommier, c'est des idées qui y poussent. Des idées de textes. Et j'ai grandit. Je sais maintenant que quelques fois, il vaut mieux être paresseux et laisser les pommes tomber d'elles-même, sans trop s'en faire. On pense à Newton puis on se dit, mouais, je crois que je vais piquer un somme au pied de mon pommier. Et puis on en reçoit une sur le crâne. L'idée est prête. On l'a vu naître, grossir, passer de vert à rouge, lentement. On savait ce qu'elle était, mais pas ce qu'elle deviendrait. Il faut être paresseux des fois.

       Je grimpe encore à mon pommier, des fois, mais pour le simple plaisir de grimper. Je laisse les pommes à leur place, sagement. Je grimpe sans raison, comme je le faisais parfois quand j'étais petit. C'est une des seule sagesses d'enfant qu'il me reste encore.

16 oct. 2010

Jigoku

Jigoku. Le vrai.
       J'ai une bronchite. Je crois. J'ai pas demandé à un médecin et je ne suis pas moi-même médecin. Mais je suis pas mal certain que c'est une bronchite. J'ai pas le nez bloqué, mes yeux piquent pas, je me sens pas faible à outrance. Mais je tousse. Creux. Et je crache. Je vous épargne les détails.

       Je cherche des remèdes de grand-mère. Si quelqu'un en connait, faites-m'en part, de grâce. J'en suis encore au verre de brandy avant le dodo pour activer mon système. Ça fonctionne bien, la bronchite perd du terrain chaque matin, mais on dirait qu'au cours de la journée, elle reprend le terrain perdu. Sûrement à cause de la fatigue accumulée durant le travail. Mais je lui redonne un autre coup le soir. Je me réveille et mes couvertures son trempes, mais je respire mieux et je tousse pas. En fait, je respire bien pas mal tout le temps, c'est juste que je tousse beaucoup, et ça fait mal.

       Ça me tente plus ou moins d'aller perdre 4 semaines dans la salle d'attente d'un cabinet de médecin. Surtout si c'est pour me faire dire de retourner chez moi et dormir et que ça va passer. « J'aurais pu juste dormir le temps que j'ai attendu dans la salle d'attente au lieu d'attendre et je serais déjà presque guérit. » Le médecin aimerait pas se faire dire ça, je suis certain. Il ferait semblant de rire derrière ses yeux bridés, mais il serait fâché. D'ailleurs, des yeux bridés, ça a toujours l'air de rire. Je suis pas raciste, je trouve simplement ça drôle. Drôle dans le bon sens, le sens respectueux. Il faut toujours s'expliquer de nos jours, faire un disclaimer avant de parler. J'ai fait le mien après, j'espère que j'aurai pas de poursuite judiciaire.

       J'ai tenté d'écouter un film hier soir. Jigoku, un film d'horreur japonais de 1960 par Nobuo Nakagawa. J'avais mon verre de brandy pour soigner ma bronchite et je me suis rendu compte après 15 minutes de film que jamais j'allais être capable de terminer le visionnement dans mon état fatigué. J'ai coupé le film. Je déteste faire ça. Un film, pour moi, c'est sacré. Surtout à la première écoute. Des films que je connais par coeur, ça me dérange pas de les couper, même de les écouter en simple fond pendant que je prépare à manger - en fait, j'adore préparer à manger en écoutant à moitié un film que j'adore et que j'ai déjà vu 50 fois. On dirait que peu importe où je serais, si je préparais à manger en écoutant à moitié un film que j'ai déjà vu 50 fois, je me sentirais chez moi. C'est étrange, le concept de "chez soi" et toutes les choses qui peuvent s'y rattacher.

       J'ai fermé les yeux après 15 minutes dans Jigoku. C'est là que j'ai compris que jamais j'allais terminer le film. Mes mains sont devenues molles, mes yeux faisaient à leur tête. Je me suis levé, j'ai arrêté le film, fermé la télé. Ce qui est chiant, c'est qu'une fois debout, je me sentais capable de terminer le film. Mais je savais que si je me rasseyais, j'allais recommencer à tapper des clous. Alors je suis allé lire un peu, question de pouvoir terminer mon brandy sans avoir à le caller d'un trait. Et puis j'ai dormi. Le genre de nuit trop courte, celle après laquelle tu te réveilles avec un vide. Et puis tu dois aller travailler après. Tu sais d'avance que la journée va être longue.

       Jigoku, ça veut dire « L'Enfer » en japonais.

12 oct. 2010

L'effet

The Idiot, de Kurosawa

       C'est un effet que peu de films ont eu sur moi. Mais chaque fois que l'effet a été présent, le film en a toujours été un qui m'a marqué à vie, comme au fer rouge. Un film qui revient me « hanter » sur une base régulière, qui s'incruste dans mon imaginaire, qui modifie à sa manière les engrenages de ma pensée. Je peux citer parmi ces films Stalker et Andreï Rublev, de Andreï Tarkovski, Alphaville, Le Mépris et Pierrot le Fou, de Jean-Luc Godard, The Idiot (Hakuchi), d'Akira Kurosawa, Metropolis, de Fritz Lang, Sunrise: A Song of Two Humans de Friedrich W. Murnau, La Passion de Jeanne d'Arc et Ordet, de Carl Theodor Dreyer, Dogville, de Lars Von Trier...
       
       La liste peut avoir l'air longuette, comme ça, mais c'est en fait un très très maigre pourcentage des films que j'ai vus. Il se passe quelque chose durant l'écoute de ces films, quelque chose que je ne saurais vraiment exprimer en mots. Le monde entier et notre propre corps se taisent entièrement et laissent toute la place à la relation entre notre esprit et l'œuvre qui défile à l'écran. Le résultat : notre esprit s'ouvre, comme une fleur tôt le matin, et l'œuvre se déverse littéralement en nous, à grand flots fracassants et indomptables. À partir de ce moment, l'œuvre nous habite et sera avec nous pour le reste de nos jours. C'est un impact de ce genre sur l'imaginaire qui donne à l'art toute sa magnificence, ses lettres de noblesse, sa valeur infinie.

Nosferatu - eine Symphonie des Grauens, de Murnau
       J'ai vu un autre de ces films, hier soir. Un film qui est allé se loger directement dans les très haut niveaux de ma liste de films marquants. Il s'agit de Aguirre, der Zorn Gottes, du cinéaste allemand Werner Herzog. Je connaissais déjà Herzog pour son Nosferatu, Phantom der Nacht - remake moderne de Nosferatu, eine Symphonie des Grauens, le grand classique muet de 1922 de Murnau. Dans ce remake, qui met en vedette le très volatile et instable Klaus Kinski, aux côtés d'Isabelle Adjani et de Bruno Ganz (Der Himmel über Berlin, Der Untergang), Herzog accompli l'équivalent cinématographique d'un miracle : prendre une œuvre classique fondatrice comme Nosferatu et la moderniser, lui donnant une touche personnelle, une saveur particulière, tout en laissant l'atmosphère, l'idée générale, l'âme de l'œuvre originale absolument intacte. Bref, je tenais déjà Herzog en très haute estime.

Klaus Kinski dans Aguirre, der Zorn Gottes, de Herzog
       Avec Aguirre, j'ai été simplement pétrifié. Je vois difficilement comment le décrire. Kinski, avec son génie féroce, crève l'écran de manière spectaculaire. Il s'est décrit lui-même comme étant un animal sauvage né en captivité avec, à la place de griffes, un talent d'acteur. Il dégage une rage terriblement humaine. L'histoire est simple : des conquistadors recherchent El Dorado. Malgré la simplicité apparente, c'est tout un univers qui se déplace au gré de l'Amazone. Un bateau coincé dont les occupants se suicident; une mutinerie contre le représentant légitime de la couronne d'Espagne; un petit noble nommé Empereur-pantin d'un nouvel Empire invisible, intangible, à la dérive; des Hommes perdus, désespérés, assoiffé d'or et de pouvoir qui jouent, comme des enfants, à se bâtir un monde imaginaire. Une folie se dégage de chaque scène, une folie que personne ne semble accepter pour ce qu'elle est, une folie qui les tue à petit feu en leur grugeant leur humanité. On voit le bateau envahit de singes, métaphore pour la régression de ces Hommes. C'est un film cruel,  poétique, dérangeant, d'un beauté remarquable, d'une humanité cinglante. L'un des plus marquant que j'ai eu la chance de voir. C'est de l'art. Point.

9 oct. 2010

Soupe à l'oignon

Ginette, m'en va sauter dans ton cerceau de soupe.
Vu que ma soupe à l'oignon semble en faire saliver plusieurs, j'me suis dit, aussi ben...

J'y vais pas mal toujours au pif, dans la cuisine. J'ai des livres de recettes, mais je m'en sert principalement pour m'inspirer. Et de toute manière, de la soupe à l'oignon, y'a rien de plus simple à faire.

- Faire fondre du beurre dans un giga-méga-chaudron (en fonte, c'est toujours mieux)
- Couper une batch d'oignons en lamelles
- Catapulter les lamelles d'oignons dans la casserole (je vais revenir plus tard au guide de construction de la catapulte à oignon)
- Mettre du miel au goût, question que ça caramélise un tantinet
- Laisser revenir ça à feu moyen/doux pendant un bail
- Quand ça te chante, t'ajoutes une bière bien houblonnée (du genre griffon extra-pale ale ou Rogue/Dead Guy Ale - la première est en épicerie, la seconde à la SAQ) le houblon donne une touche d'amertume qui relève la soupe
- Ajouter du bouillon de boeuf
- Laisser mijoter pendant que tu vas prendre une marche automnale (je crois que la marche automnale est l'ingrédient clé de ma recette - quand tu reviens, t'es zen et la soupe est meilleure)

Faites nager quelques croutons sur ça. Engagez du fromage comme tueur à gage pour noyer les croutons (s'assurer de faire paraître ça comme un accident). Tuer à son tour le fromage, au four.

Et puis c'est tout.

Certains la font avec du vin blanc plutôt que de la bière, je trouve ça moins gouteux. Et j'ai déjà tenté de remplacer le miel par de l'hydromel, tout en gardant la bière : ça a très bien fonctionné, ça a simplement coûté un peu plus cher. L'hydromel La Benoîte fait un très bon boulot. Et après ça, on peut accompagner la soupe d'un verre du même hydromel et d'une purée de courge. Plus automne que ça, tu vires toi-même jaune-orange-rouge.

Et merci à l'alléchante Ginette pour l'alléchante photo. (????????)

8 oct. 2010

Un peu de tout

       Je suis pas certain de ce que je vais dire dans ce billet. J'ai plusieurs trucs qui me trottent dans la tête. Ça va surement se terminer en un mélimélo (grands dieux que je hais ce mot) de tout et de rien.

*     *     *

       Rémy Couture passe devant tribunal le 13 octobre. Il est un artiste maquilleur extrêmement talentueux qui s'est fait arrêter en octobre 2009. Interpol a cru bon de crier à la police de Montréal que Rémy était un dangereux criminel, un tueur en série qui photographie et filme ses crimes sanglants. Je crois que c'est tout à la gloire du talent du monsieur que les forces de l'ordre croient à ce point à ses maquillages, mais il est accusé en cours et risque jusqu'à 2 ans de prison - c'est là que le compliment passe un peu au second plan. Son histoire est disponible ICI et sa page facebook est ICI. Évidemment, ce procès absurde est financé avec les fonds publics. C'est une vraie joke, mais étrangement, j'ai pas du tout envie de rire - et Rémy non plus.

*     *     *

       Je bosse de nuit, ce soir - de 23h ce soir vendredi à 6h demain, samedi. Jusqu'ici, pas de problème. Là où ça devient moins intéressant, c'est que je retravaille samedi de 15h à 18h. Et là ou c'est vraiment moins cool, c'est dimanche : je bosse de 8h à 17h30. La grosse journée de dimanche, avec mon décalage du vendredi/samedi, risque d'être exactement ça - une grosse journée. D'autant plus que je traine un début de rhume depuis hier. La fin de semaine va peut-être faire mal. Vive la SAQ et les horaires parfois un peu trop flexibles.

*     *     *

       Pour mon cours « robots et automates dans littérature d'imagination », j'ai à lire un bouquin de Villiers de l'Isle-Adam qui s'intitule L'ève future, publié en 1886. C'est une pièce de littérature très intéressante qui propose comme personnage principal une version imaginée de Thomas Edison, le célèbre inventeur. À lui la tâche de sauver un ami cher qui songe au suicide. La raison de cette grosse déprime? La femme dont il est amoureux, Alicia, est magnifiquement belle mais d'une idiotie assommante. Edison compte donc sauver la vie de l'ami en question en lui offrant une splendide nouvelle femme, réplique physique parfaite d'Alicia, mais qui saura parler au bon moment et se fermer la gueule quand il le faudra. Une misogynie quand même remarquable - tellement flagrante en fait, que je ne pouvais que croire qu'elle était un symbole pour autre chose. Et en creusant le roman, je me rend compte qu'en effet, Alicia, la jolie sotte, est une figure métaphorique de la société stupide qui agit sans réfléchir. Comme par magie, la misogynie se transforme en une critique sociale excessivement cinglante et Edison, en bon pourvoyeur d'inventions, se fait métaphoriquement créateur-en-devenir d'une société plus adaptée à l'Homme Cultivé. Intéressant comme revirement. Un roman typique de la fin du XIXe siècle, avec son texte assez lourd et sa poésie élaborée me devient soudainement plus agréable à lire - car, vous comprendrez, je sais maintenant quoi voir, quoi chercher. Et je crois m'en tirer d'assez belle manière dans mon analyse de mi-session.

*     *     *

       Ce soir, je me fais de la soupe à l'oignon gratinée et vous n'en aurez pas.
      

1 oct. 2010

Poésie I

Ivan's Childhood, Andreï Tarkovski

Horizon Forcé
 

Ne pas avoir de murs.
Une cheminée, une porte; y rester.
S'asseoir et vivre.
Regarder le temps terminer sa route.
Un nuage, aucun ciel; un horizon, rien au-delà.
En face, une cabane de poutres et de planches; pas de porte.
Y voir un enfant s'endormir.
L'observer, penser.
Perdre une famille.
Perdre une enfance.
Perdre ses murs.
Souffrir de l'absence.
Attendre de voir l'enfant s'éveiller.
Lui parler.
Accepter son silence.
Le froid de ses yeux.
Son sourire.
La crasse de ses joues.
Ne rien demander.
Laisser partir.
La pluie, son dos, ses haillons.
Mains dans les poches.
Pieds dans la boue.
Son horizon.