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" Книга - друг челавека. " (Livre - ami de l'Homme)

- Proverbe Russe

19 sept. 2010

Rêver autrement

William Turner. Rain, Steam and Speed - The Great Western Railway. 1844.
         Il y a longtemps que vous êtes dans ce train. Vous somnolez tranquillement sur ses banquettes identiques et trop dures. Le temps rampe. Le grondement des roues sur les rails est un éclat de rire; le ciel est un lit trop froid. Tous les paysages du monde ont défilé par les fenêtres : pampa, Gobi, toundras, bouleaux, volcans, caniveaux. Vient parfois un lieu où le temps bascule. Vous ouvrez alors la fenêtre : le monde entier se tient là et vous regarde. Ne sachant que faire, vous vous rasseyez. Le temps respire à nouveau – rien ne s'est produit. Le train vibre, votre gorge est sèche. La destination n'a plus d'importance. Le chemin de fer est un réconfort. Le train force une vision latérale, des œillères inversées. Vous oubliez votre source, votre but. Vous oubliez le fouet qui claque à votre dos, le rêve qui pend devant votre nez. Vous savez seulement que vous roulez sur deux rails bien solides.
       Parfois, vous marchez. D'autres passagers vous croisent. Ils ne parlent pas. Comme vous, ils songent au sens de la vie, de l'existence – mais certainement pas en ces termes. On peut le voir dans leurs yeux noyés, leurs gestes lents. Absents, ils vous saluent poliment, puis referment leurs cryptes, de peur que de vieux démons ne leur sortent de la gueule sur un long ressort grinçant. Votre solitude revient.
        Les choses prennent d'étranges saveurs lorsqu'elles défilent sans forme au ras de votre fenêtre. Votre vision est un canevas. Puis, sans que vous vous y attendiez, tout tombe. Le sol s'effondre, une vaste étendue s'ouvre, votre souffle se fend et vos mains se crispent. Le train vole sur un pont. Le rire des rails bourdonne toujours, peut-être un peu plus insistant, pour dissiper votre sensation d'envol. L'instant d'après, le ciel se rompt. Un arbre d'automne vient emplir votre champ de vision. Le train vogue sur de l'or. Ainsi, la nuit s'annonce. Vous ne voulez plus voir ni source, ni but. Vous vous endormez, le train continue sa course. Vous rêvez. Un oiseau maladroit vous frôle le nez.

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