Citation du maintenant


" Книга - друг челавека. " (Livre - ami de l'Homme)

- Proverbe Russe

15 sept. 2010

Et un deuxième texte, pour rendre tout ça plus douillet.

Tiré de The Sacrifice, Andreï Tarkovski, 1986.

À force de vivre

       Son fils l'observe souvent travailler ce petit jardin. Dans un coin de la cour arrière, au bord de la baie, elle arrache quelques mauvaises herbes, regarde le vent tourner les feuilles des plants de tomates. Pliée, le nez contre la terre, les mains noires, le soleil sur le dos, elle oublie. Quand se elle décide à se relever, c'est avec de longs craquements qu'elle déracine son corps. Les sourcils froncés, les yeux fermés, elle éponge sa douleur. Son fils vient lui prendre le bras, l'aider jusqu'à une chaise en osier posée près d'une table sur la véranda : un verre de brandy l'attend. Elle y plonge d'un trait, puis passe la soirée à contempler son petit jardin échevelé. Le soleil tombant fait vibrer ses reflets sur l'eau et le vent s'emporte. Alors, il faut rentrer, fermer les volets. Le reste de la soirée se passe devant le foyer. Ce n'est que quelques jours plus tard qu'elle retourne à son jardin, peut-être par ennui. Entre temps, les mauvaises herbes ont eu le temps de reprendre possession de la section nettoyée. La vieille dégage un autre coin de terre, puis s'en revient, l'air satisfait : la broussaille réclame à nouveau le terrain en moins de deux jours. Des semaines durant, son fils observe ce manège. Il n'ose pas parler. Un soir, elle monte à sa chambre plus tôt qu'à l'habitude, se plaignant de maux de ventre. Le lendemain, elle reste alitée. Le fils s'inquiète : un médecin est appelé. La vieille dame ne parle plus, son corps s'essouffle.
       Le fils décide de nettoyer le jardin, un cadeau pour sa mère malade. Une semaine entière, il travaille ce minuscule bout de terre, à s'en rompre le dos. La crasse s'accumule sous ses ongles. Quand enfin il a terminé, il monte voir sa vieille mère, toujours mal en point, confinée à son lit. Doucement, il l'aide à se lever, à marcher jusqu'à une fenêtre. Dehors, une journée grise, lente. La baie s'étend sous une brume épaisse, pleine d'échos aveugles – près de l'eau, le jardin. Fier, le jeune homme montre le travail qu'il a fait. Sa mère fond en larme. Elle tourne le regard vers son fils; lui voit sur le visage de sa mère une douleur sournoise. Sa fierté s'éteint; il se demande s'il de vient pas de la tuer.

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