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" Книга - друг челавека. " (Livre - ami de l'Homme)

- Proverbe Russe

7 nov. 2010

La peur.

Goudurix, célèbre champion gaulois de la peur
       J'ai publié dans un billet précédent un extrait d'un essai que j'ai écrit dans le cadre de mon cours universitaire Atelier d'écriture II, cours que j'ai complété à l'hiver 2010. J'ai mentionné mon intention de possiblement publier un autre extrait de cet essai dans un futur plus ou moins proche. Eh bien, je sens venu le moment de le faire. Avec plus d'une semaine sans publier de billet, le thème de la peur semble approprié.

       Cet extrait de l'essai est suivi d'un court texte de fiction qui affiche mon affection pour tout ce qui a trait aux films de zombies; j'ai tenté une approche littéraire de ce monstre sanguinolent souvent associé au divertissement facile, mais pourtant si riche en significations et si parlant quant à nos peurs trop humaines.

       C'est donc un billet axé sur la peur, sur le sens profond de cette émotion qui fait vibrer nos cordes primaires et qui, souvent, nous maintient en vie malgré nous.

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Vincent Van Gogh, Autoportrait
La peur et le miroir
L'écriture est, pour moi, une recherche. C'est une quête sacrée pour étancher une soif intense de tout. La quête du Graal : la recherche de tout ce qui l'y a de meilleur en ce monde, endiguée par le fait que l'on sait ce but inatteignable. Sa nature même le dicte. S'efforcer de l'atteindre est louable, suffisant. On ne peut demander plus d'un mortel. « Dans cette situation, médiocrité et génie sont aussi inutiles l'un que l'autre. Nous n'avons aucun intérêt à conquérir un quelconque Cosmos. Nous voulons étendre la Terre jusqu'aux limites du Cosmos. Nous ne savons que faire d'autres mondes; nous n'avons que faire d'autres mondes. C'est un miroir, qu'il nous faut. Nous nous efforçons d'établir un contact, sans jamais y arriver. Nous sommes dans la ridicule situation humaine de vouloir atteindre un but dont nous avons peur, dont nous n'avons pas besoin. L'Homme a besoin de l'Homme.1 » Par la bouche de l'un de ses personnages, Andreï Tarkovski exprime un sentiment qui, je le crois, habite mon activité d'écriture. Une peur inhérente à ma pratique est évidente. Je suis en droit – en devoir – de me demander si j'ai réellement besoin de l'écriture. Le miroir que je cherche ne s'y trouve peut-être pas, mais je dois faire confiance. Une vie passée à chercher au mauvais endroit vaut peut-être la peine dans la mesure où l'on détient cette confiance. On recherche la continuité et le renouveau de ce que l'on connait, de ce que l'on sent; un désir de voir s'étendre jusqu'aux autres une idée qui nous consume. Partager la beauté d'un paysage intérieur en sachant que l'autre le percevra de la même manière, sera touché de la même façon, au même endroit, avec la même intensité : l'égoïsme de chercher dans l'autre un miroir qui nous renvoie notre propre réflexion, celle que l'on désire voir, que l'on souhaite indépendante de nous, mais toujours en accord avec nous. Revivre pour soi-même ces moments délicieux, la découverte de l'idée, si seulement en partie, à travers le regard de l'autre. La symbiose de l'écriture passe par l'égocentrisme absolu de la recherche de soi dans le lecteur. Passer par l'autre pour revenir à soi – mais trop souvent, je me bute à Sartre : « L'enfer, c'est les Autres.2 » Le Graal est hors de portée. D'autres mots doivent sortir, remplir le blanc des pages. Un autre X sur ma carte. Je reprends ma boussole, j'y ajoute un point cardinal : « vanité. »

1Andreï Tarkovski, Solyaris, Moscou, 1972, 169 min, DVD.

2Jean-Paul Sartres, Huis clos, Paris, Éditions Gallimard, 1947, p.92.


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Le second souffle

        Une dame se fige à la vue de son fils mort. Debout au coin d'une rue, les bras le long du corps, il ne bouge presque pas. Elle hésite. Une main sur la joue; la chair froide l'accueille sans frémir. Un cou brisé retient à peine la tête.

Night of the Living Dead, George A. Romero
        À la vue de sa femme, l'homme se met à hurler. Ces yeux laiteux qui le fixent, il ne peut pas croire que ce sont les siens. Jamais il n'a vu sa femme ainsi. Elle est dans le jardin. Ses cuisses tachées de sang bruni rappellent au père le prix qu'il a dû payer pour sauver son enfant. La voyant là, immobile, livide, il se demande si elle lui a pardonné. Il sort, s'approche – elle reste figée. Il s'efforce d'avancer; ses membres s'allègent, sa vision se brouille. Il s'effondre en pleurant, pose ses mains sur des pieds rigides et glacés.

        Le deuil a été ardu. Son père n'avait pas le droit de partir. Vieillard plié, son sommeil l'a emporté. Une vie se vide, puis une rage incompréhensible fait surface, une rage longue à calmer. Elle n'a jamais pu comprendre pourquoi – sans saisir qu'il n'y a aucun pourquoi. Le vieillard se tient derrière elle – plutôt, elle est dos à lui; elle ne supporte pas de le regarder. Elle l'a aimé, tellement; et il l'a fait souffrir. Incapable de combattre sa colère. Il la répugne. Elle se retourne brusquement, fait face à son monstre et l'envoie au diable. Les dents serrées, les yeux rouges, elle lui crache au visage et s'en va.

        Le père se retourne, machinalement, puis se remet à errer dans les rues, parmi les autres, la foule des dépravés, des pourris, des décapités. Ils s'assemblent sans raison, leurs gémissements pesants remplissent les parcs, le creux des forêts, les ruelles. Ces présences reniées ne vont plus tarder à disparaître. De telles ruines n'ont leur place que dans le passé.

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