Citation du maintenant


" Книга - друг челавека. " (Livre - ami de l'Homme)

- Proverbe Russe

2 janv. 2011

Le château des Hommes

Bamborough Castle, J.M.W. Turner, circa 1835

       C'est dans le port du Grand Rien que notre vieux rafiot accostera. Le quai, jeté à la mer par des mains sales, résonnera sous nos pas, un écho accablé. Une tempête accueillera nos yeux. Un vent tranchant ouvrira nos lèvres gercées par le sel; du sang en giclera. Nos pas guiderons nos corps vers le mucus des plages noires. Des vagues de pus et de mousse s'abattront derrière nous, effaceront les traces de nos semelles usées. Au large, des pêcheurs tireront des filets. À travers les orages, ils ne trouveront comme prises que de vieux clous rouillés. Ils reviendront vers le rivage par élans de souffrance, voiles pleines de cris et complaintes. Une fois à portée de voix, ils supplieront leurs femmes de fixer leurs amarres. Des enfants osseux geindront, se colleront à nos jambes. Nous marcherons.
        Notre chemin nous mènera vers un château, au sommet d'une falaise fendant la mer en quatre : grand bâtiment blanc né de la terre, sculpté par les brumes. Sa fondation sera un ressac violent où nous ne pourrons trouver refuge sans nous briser. Nous laisserons derrière nous cette plage où Hommes et chiens s'adonnent aux douleurs de l'amour. Nous passerons un cimetière vaste comme un monde : des pêcheurs y seront à polir rangée après rangée de monuments funèbres, chassant chats et corbeaux à coup d'injures. Nous ne regarderons pas, mais hisserons nos chairs vers le refuge du sommet. Le cri du vent suivra celui de nos gorges; le grincement du couchant, celui de nos genoux. Nous jetterons un regard lent vers le quai, tout en bas : notre rafiot sera là, assailli par un village de pillards. D'autres formes, buboniques, pliées, tenterons de fuir cette terre par où nous serons venus. L'embarcation se heurtera aux pointes du ressac – plusieurs corps seront déchiquetés. La mer crachera des roses sur la plage.
        Au château, nous trouverons un enfer de chaînes et de portes. Nous entrerons, sous le regard de gargouilles. Dans une pièce, un trône vide se tiendra. Partout, les pierres blanches, fixées contre l'acier du ciel – et le regard des monstres sculptés. Le trône appellera nos cœurs, les affligera d'un ardent désir de conquête. Nous voudrons un royaume bâtit de nos mains, conquit par notre sang. Nos veines en pulseront, presque à fendre; nous n'obtiendrons que des tombes. Nous nous y laisserons choir, sans soupir. Dans notre dernier souffle, les gargouilles, du haut des murs, souriront.


        Elles nous emporteront.



3 commentaires:

  1. texte très sombre pour entrer dans une année nouvelle. D'où vous viennent ces métaphores, ne désirant y voir que des métaphores du plus pur romantisme...

    RépondreEffacer
  2. Les gens commencent à me poser des questions sur mes textes et j'hésite à expliquer ma vision ou bien à jouer le même jeu que David Lynch et Lars Von Trier avec leurs films : silence complet de ma part et vous vous arrangez pour l'interpréter comme il vous plaît, sans mon aide.

    J'avoue avoir un faible pour la seconde option, bien que ce ne soit pas encore coulé dans le béton. Alors je veux bien m'aventurer un petit peu pour ce texte.

    Je vais simplement dire ces deux choses :
    1- Je voulais faire un test avec la narration au futur simple. J'ai aimé et je vais surement le refaire.
    2- J'ai simplement laissé la toile de Turner me parler (celle que j'ai jointe dans le billet).

    RépondreEffacer
  3. Ne répondez pas aux questions des gens, qu'ils se débrouillent avec leur interprétation. Vous n'avez pas à leur livrer la vôtre.

    Bonne idée pour la narration au futur simple. Elle laisse une fin ouverte. Quant au tableau de Turner, c'est la première chose que j'ai vue en lisant votre texte : la manière dont vous vous arrangiez avec, soit vous laisser aller à votre noyade personnelle!

    Continuez, vous avez du talent. Envoyez qq chose au site du Chat Qui Louche...

    RépondreEffacer