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" Книга - друг челавека. " (Livre - ami de l'Homme)

- Proverbe Russe

30 nov. 2010

Ingmar Bergman.

Ingmar Bergman
       Je viens de terminer l'écoute de Bergman Island, un documentaire paru en 2004. Au fil de ses 80 minutes, on partage l'intimité du (très) grand cinéaste Ingmar Bergman - à la fois l'intimité de son foyer sur l'île de Fårö, en Suède, et l'intimité de ses pensées, de son bagage de vie. Cet Homme s'offre tout entier à Marie Nyreröd, qui mène l'interview autour duquel le documentaire se construit. Connaissant relativement bien l'œuvre de Bergman - plusieurs de ses films se sont inscrit en moi de manière absolument indélébile - je n'ai pu que fixer mon écran de télévision et boire chacune des paroles de cet homme habité par un besoin de créer. Son honnêteté est belle, troublante, parfois même cruelle.

       Pour le p'tit jeune que je suis, moi qui commence à découvrir le rapport entre un Homme et sa fibre créatrice, l'immense sentiment d'accomplissement de soi qu'elle peut fournir, ce documentaire a été une expérience quasi spirituelle. Bien sur, je n'ai pas été d'accord avec  chacun des mots de Bergman : j'ai un sens critique en plus d'avoir mes propres idées sur bien des choses. Mais voir un homme de sa stature poser un regard franc sur le chemin qu'il a laissé derrière lui, autant ses bons jours que ses moins bons, ne peut qu'être inspirant. Un tel partage de la part d'un artiste aussi imposant mérite mille fois d'être immortalisé sur vidéo.

Det Sjunde Inseglet, 1957

       Ici, je me rend compte que, en fait, je ne sais pas trop où je voulais en venir avec ce billet. Remarquez, je vis de manière assez forte avec ma propre créativité depuis quelques mois. Plusieurs des enseignants que j'ai eu le bonheur d'avoir à l'UQÀM m'ont permis de trouver le moyen de puiser dans des ressources dont je ne soupçonnais même pas l'existence il y de ça moins de deux ans. Je crois que j'ai pu trouver une certaine forme de miroir dans cet Ingmar Bergman qui s'ouvre tout grand. Je me rend compte de la beauté qu'une vie passée à créer peut contenir. Je me rend compte que nos plus grands succès ne sont pas nécessairement ces projets auxquels nous accordions le plus d'importance. Je me rend compte que l'on peut voir nos projets les plus chers faillir, s'écrouler entre nos doigts comme une statue de poussière et ainsi, malgré un succès fulgurant dans un « ailleurs » quelconque, notre paix avec la vie peut rester difficile à atteindre. La paix, je crois, plus que le bonheur, est ce qu'on cherche tous. La vraie paix.

Ingmar Bergman

       Je songe à tout ça et j'ai un peu le vertige. Je me demande comment ma vie va se dérouler par rapport à ma créativité - créativité à laquelle j'attache de plus en plus d'importance. Dans le documentaire, Bergman ennumère une liste de ses Démons personnels. Le dernier qu'il nomme est le Démon du Néant. Il décrit cet être comme un grand silence, celui qui règne quand notre imagination et notre créativité nous abandonnent. Il met ce dernier Démon à part des autres car c'en est un qu'il a toujours effroyablement redouté sans jamais avoir eu à l'affronter - et il admet en être grandement reconnaissant. Je me demande si ce Démon de Bergman pourrait en être un pour moi également. Et je me demande comment je réagirais si j'avais à lui faire face. Beaucoup de questions alors que j'ai à peine le quart de ma vie d'écoulé, mais ça, c'est ce que je suis. Je crois que c'est un de mes Démons, le Démon du Questionnement sans Réponse.

24 nov. 2010

Metal.

       Je suis métalleux. Voilà. Je trippe sur le gros métal. Je headbang avec mes chums quand on écoute un album qu'on aime. Je joue de la basse et je fais exploser des tête avec des riffs hyper rapides et techniques. J'aime bien Metallica et Megadeth bien que ce soit pas mes préférés. J'aime beaucoup Symphony X et Opeth. Là, on reste dans les trucs assez standards, point de vue métal.

Arcturus
       Je suis un grand fan de Vintersorg et Borknagar. J'aime énormément Arcturus, Age of Silence et Solefald. Ici, on entre dans les trucs moins accessibles, avec des influences de musique folk, une grosse touche progressive, souvent même carrément avant-gardiste. C'est des musiciens qui réfléchissent sérieusement à ce qu'ils expriment par leur musique et si un solo d'accordéon par-dessus un beat techno-crasseux ou un monologue de 10 minutes semblent être un chemin intellectuellement significatif, ils ne vont pas se gêner pour couper un riff de guitare et un beat de drum hyper violent pour les incorporer. Ces bands ont la curieuse tendance à venir souvent de Scandinavie, de Norvège, plus particulièrement, où les musiciens d'un cercle bien connu s'échangent les collaborations et font bouillonner une vraie mine d'or de musique originale, intéressante et songée.

Couverture de l'album Butchered at Birth, de Cannibal Corpse
       Plusieurs d'entre vous connaissez surement des groupes comme Cannibal Corpse (on les voit dans le film Ace Ventura). Peut-être même Suffocation. Du gros death metal bien gras et bien méchant. Comme le dit mon chum Jef, c'est de la musique qui donne « le feeling du tueur.» Juste en écouter, ça défoule. Pas mon genre de prédilection, mais une fois de temps en temps, une bonne dose, ça remet les idées en place. Sinon, je suis plutôt le genre death technique, vous n'avez qu'à aller voir Spawn of Possession, Atheist ou Cynic. Apprendre à jouer ce type de matériel prend énormément d'expérience et de talent. On parle souvent de musiciens qui ont un bacc, une maitrise ou même un doc en musique jazz ou classique. Bref, c'est pas juste des punks qui font du bruit.

Varg Vikernes, à son entrée en cours en mai 1994
       J'ai un énorme faible pour le black metal. Avec ce style là, on commence vraiment à entrer dans un monde de fuckés. Des bands comme Burzum et Mayhem ont des histoires de suicides et de meurtre et d'incendies d'églises chrétiennes en Norvège dans les années 90. En 1993, Varg Vikernes, le mec de Burzum (également bassiste de Mayhem à cette époque) s'est « défendu » d'un supposé assaut de Euronymous, guitariste de Mayhem - il s'est défendu en lui assenant 23 coups de couteaux, dont plusieurs dans le dos. Ça sonne bidon, surtout quand on connait les problèmes internes auxquels Mayhem faisait face au plan des décisions à prendre par rapport à la distribution de leurs albums. C'est ce même type, Vikernes, qui a commis plusieurs des incendies d'églises mentionnés ci-haut. Il s'agit ici d'un mouvement non pas satanique, mais anti-chrétien à forte tendances vers les religions païennes scandinaves. Et un lien peut souvent être fait entre la scène black metal et les mouvements néo-nazi ou white-power. Reste que ces deux bands, Burzum et Mayhem, sont parmi mes favoris pour ce style de musique. Les artistes sont souvent un peu fous - c'est vrai partout, tout le temps. Et je pourrais sortir d'autres histoires de ce genre reliées au milieu black metal. Les amateur du genre les connaissent toutes, les racontent souvent avec une touche de fierté inconsciente. « Les musiciens que j'aime sont plus fous que ceux que tu connais, mon style de musique est trop particulier pour toi, t'es pas prêt à faire face à tout ce que ma musique représente. » J'ai vu ça souvent, chez des jeunes qui entrent tout juste dans ce milieu. Pas très différent des jeunes rappeurs qui s'habillent en gangsta et commettent des vols pour être hots devant leur chums. Des jeunes qui se cherchent, quoi, et à qui il est difficile d'en vouloir, mais qui parfois commettent des gestes irréparables. La vie est partout pareille.

Darkthrone
       Reste que ce type de... situation particulière (?) est l'affaire presque exclusive d'une minorité bien spécifique la scène black metal. On peut parler de bands comme Immortal, Keep of Kalessin, Judas Iscariot, Darkthrone ou Nargaroth qui, tout en ayant parfois une histoire mouvementée, ne vont jamais aux extrêmes mentionnés plus haut. Dans la majorité des cas, au sein des fans de ce genre de musique, le sentiment face à ces incidents est une neutralité un peu attristée. La position juste (ou idéale) est difficile à saisir : on aime la musique que ces musiciens produisent, mais on veut se dissocier de leur histoire, de leurs idéaux parfois racistes ou extrémistes. On dit aimer leur musique pour ce qu'elle est tout en mentionnant qu'on se balance complètement du fait que l'artiste soit un meurtrier néo-nazi. Et vous savez quoi, dans 90% des cas, c'est vrai : la musique est tout ce qui importe.

       Je crois que cette dernière phrase est une bonne conclusion - la musique est tout ce qui importe - car dans le fond, le metal, peu importe le style, c'est précisément ça : la musique, et rien d'autre. Le show est intéressant, les histoires peuvent attiser la curiosité, mais c'est la passion pour la musique qui garde tout ça en vie. Ce devrait être une évidence, mais ça se perd dans les méandres de rumeurs et d'images négatives perpétrées depuis les années 80 quand Alice Cooper prenait plaisir à se prendre pour Satan, sur scène.

       On reconnait un vrai quand on en voit un. Et les vrais, ils laisseraient tomber le métal pour rien au monde. 



*       *       *



Blind Guardian
       Ce qui m'a motivé à écrire ce billet, c'est ma soirée d'hier : j'étais au Metropolis, au show du band qui m'a introduit au monde métal et qui est resté mon band préféré, indétrônable en plus de dix ans. Blind Guardian.

       J'ai passé tout le temps de leur prestation dans la foule, sur le par-terre, à me faire aller comme un diable. Ils jouent un type de métal fortement axé sur la vitesse. En langage métal, c'est synonyme de thrash pit. Vous savez, ces cercles au milieu des foules dans lequels les gens se lancent dans tous les sens, les uns contre les autres? Et oui, j'y participe à chaque occasion que j'ai. J'adore. Ça défoule, ça entraine, ça rend vivant, ça soulève. C'est violent. Parfois, on tombe - mais on se fait rapidement relever par les autres participants - tout le monde garde toujours un œil ouvert, prêt à tout arrêter pour relever un confrère tombé combat. Un contact visuel pour s'assurer que tout va bien, une tape dans le dos, et puis on se fait relancer dans le tourbillon. Quelques fois, on se fait mal. Ça fait partie du jeu. No big deal. On prend un repos de 5-10 minutes et on recommence, un peu de sang séché encore crouté en dessous du nez. Ça n'a pas d'importance. J'ai moi-même gardé quelques bleus de ma soirée d'hier. Je les regarde en riant, en me rappelant le bon temps que j'ai passé. La musique qui file à 300 à l'heure dans l'air autour, les gens dans le trash savent qu'un solo de guitare totalement dingue débute dans 10 secondes. Tout le monde prend son souffle et 5... 4... 3... 2... 1... quand le soliste commence à enfiler les notes à une vitesse folle, c'est le regain d'énergie et le pit au complet se remet en mouvement. C'est dément. C'est unique.

The Bard's Song - In the Forest, la balade emblématique
       Et puis le chanteur nous annonce une pause. La balade de guitare acoustique emblématique du band - celle qui leur a valu leur surnom de Bardes du Métal - débute. Tous ceux qui étaient affairés à se jeter les uns contre les autres 15 secondes plus tôt se prennent par les épaules, une file de fans essoufflés et en sueur, et avec le reste de la salle, tout ce beau monde chante les paroles à saveur médiévale, histoire d'un barde et de ses chansons mystiques sorties d'un monde de dragons, d'elfes et de magie. Le chanteur du band se tait, regarde la foule de 1000 personne chanter à sa place et la satisfaction qui est si présente dans l'assistance apparait dans toute sa lumière sur le visage des musicien - des bardes. Si vous avez 3 minutes de libre, allez voir ce vidéo d'une prestation de cette pièce devant public. Ça aussi, c'est unique. Qu'on vienne me dire après que la magie existe pas.

       Mais le métal, ça bouge. Aussitôt cette pièce terminée, le chanteur le confirme : « back to the serious stuff. » Et devinez quoi? Eh oui, le thrash se remet en mouvement, la sueur se remet à couler. Et puis un coup dans les côtes qui fait perdre le souffle, c'est vraiment pas si grave.

14 nov. 2010

Étrange sentiment.

Relativity, Escher, 1953
       Au début de la semaine dernière, Alain Gagnon a publié un de mes textes sur son blogue.

       J'ai maintenant une semaine de recul pour évaluer tout ça. L'expérience de voir un de mes textes affichés à travers une volonté autre que la mienne, ça a été une expérience assez particulière. Il faut comprendre que c'est ma première publication. Je croyais que j'aurais plus de sentiments vifs en voyant mes écrits publiés de la sorte, mais en fin de compte, ça ne m'a presque pas fait un pli. En fait, j'ai même un peu perdu intérêt dans mon texte. J'étais friand de le publier (oh, wow, ma première publication!) mais finalement, ça a passé un peu à plat. Pas que je regrette l'expérience, c'est plutôt que l'écriture de ce texte a été beaucoup plus intéressante que le fait de le voir publié. Je voyais plusieurs défauts, je savais que j'aurais pu faire telle ou telle chose de telle autre manière, je me trouvais un peu con de pas avoir fait telle ou telle chose. Bon, l'histoire un peu typique, je crois. Mais c'est réellement le désintérêt envers le texte qui m'a quelque peu secoué. Comme un jouet avec lequel j'aurais eu terminé de jouer, un peu fatigué de le voir autour de moi. Plutôt étrange, je croyais  que mon rapport à l'écriture était d'une autre nature - mais est-ce que c'est le rapport à l'écriture qui est concerné quand on se voit publié? Je sais que ce que j'ai voulu dire par ce texte était honnête au moment de l'écriture, alors je ne regrette absolument rien - ce sont d'ailleurs des idées qui m'habitent encore. Je suis également heureux d'avoir enfin une première publication (l'usage du terme enfin dans cette phrase m'est venu spontanément... ça aussi c'est intéressant).

       Bref, je me vois continuer à écrire et à publier, mais je sens que je vais avoir de la difficulté à faire face à mes écrits après-coup. Pas par difficulté de les assumer (encore ici, le concept de l'honnêteté au moment de l'écriture) mais plutôt par... j'en suis pas certain, en fait. Désintérêt, oui, mais ça je l'ai déjà dit et je sens qu'il y a quelque chose de plus profond, de plus difficile à saisir.

       Peut-être par vague sentiment d'ennui. Comme si, maintenant qu'il est publié, il ne s'agissait plus que d'un bibelot auquel je ne peux plus rien changer. Comme un vase qu'on aurait pris tant de plaisir à faire - au moment de le sortir du four, cuit, on se rend compte qu'on ne peut maintenant plus y toucher, seulement le regarder d'un air un peu ébahis,  niais, sans trop savoir quoi en faire. Alors on le laisse là. Et il commence à prendre la poussière. À la différence ici que le texte ne peut pas prendre la poussière : d'autres le manipulent et l'interprètent - le ré-écrivent, en un certain sens.

       Au bout du compte, je crois que j'aurai de la difficulté à faire face à mes textes, mais que je prendrai grand plaisir à faire face aux critiques et aux analyses. Je suis une personne qui analyse beaucoup, peut-être trop, mais c'est parce que j'y prend plaisir. J'aime le plaisir intellectuel qu'amène l'élaboration d'idées, de concepts. J'aime faire des liens entre les éléments et voir les structures qui s'élaborent. Ça ressemble souvent à des peintures d'Escher.

       Bref, je crois que, malgré mon ennui, je vais arriver à trouver mon compte dans toute cette histoire.

      

7 nov. 2010

La peur.

Goudurix, célèbre champion gaulois de la peur
       J'ai publié dans un billet précédent un extrait d'un essai que j'ai écrit dans le cadre de mon cours universitaire Atelier d'écriture II, cours que j'ai complété à l'hiver 2010. J'ai mentionné mon intention de possiblement publier un autre extrait de cet essai dans un futur plus ou moins proche. Eh bien, je sens venu le moment de le faire. Avec plus d'une semaine sans publier de billet, le thème de la peur semble approprié.

       Cet extrait de l'essai est suivi d'un court texte de fiction qui affiche mon affection pour tout ce qui a trait aux films de zombies; j'ai tenté une approche littéraire de ce monstre sanguinolent souvent associé au divertissement facile, mais pourtant si riche en significations et si parlant quant à nos peurs trop humaines.

       C'est donc un billet axé sur la peur, sur le sens profond de cette émotion qui fait vibrer nos cordes primaires et qui, souvent, nous maintient en vie malgré nous.

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Vincent Van Gogh, Autoportrait
La peur et le miroir
L'écriture est, pour moi, une recherche. C'est une quête sacrée pour étancher une soif intense de tout. La quête du Graal : la recherche de tout ce qui l'y a de meilleur en ce monde, endiguée par le fait que l'on sait ce but inatteignable. Sa nature même le dicte. S'efforcer de l'atteindre est louable, suffisant. On ne peut demander plus d'un mortel. « Dans cette situation, médiocrité et génie sont aussi inutiles l'un que l'autre. Nous n'avons aucun intérêt à conquérir un quelconque Cosmos. Nous voulons étendre la Terre jusqu'aux limites du Cosmos. Nous ne savons que faire d'autres mondes; nous n'avons que faire d'autres mondes. C'est un miroir, qu'il nous faut. Nous nous efforçons d'établir un contact, sans jamais y arriver. Nous sommes dans la ridicule situation humaine de vouloir atteindre un but dont nous avons peur, dont nous n'avons pas besoin. L'Homme a besoin de l'Homme.1 » Par la bouche de l'un de ses personnages, Andreï Tarkovski exprime un sentiment qui, je le crois, habite mon activité d'écriture. Une peur inhérente à ma pratique est évidente. Je suis en droit – en devoir – de me demander si j'ai réellement besoin de l'écriture. Le miroir que je cherche ne s'y trouve peut-être pas, mais je dois faire confiance. Une vie passée à chercher au mauvais endroit vaut peut-être la peine dans la mesure où l'on détient cette confiance. On recherche la continuité et le renouveau de ce que l'on connait, de ce que l'on sent; un désir de voir s'étendre jusqu'aux autres une idée qui nous consume. Partager la beauté d'un paysage intérieur en sachant que l'autre le percevra de la même manière, sera touché de la même façon, au même endroit, avec la même intensité : l'égoïsme de chercher dans l'autre un miroir qui nous renvoie notre propre réflexion, celle que l'on désire voir, que l'on souhaite indépendante de nous, mais toujours en accord avec nous. Revivre pour soi-même ces moments délicieux, la découverte de l'idée, si seulement en partie, à travers le regard de l'autre. La symbiose de l'écriture passe par l'égocentrisme absolu de la recherche de soi dans le lecteur. Passer par l'autre pour revenir à soi – mais trop souvent, je me bute à Sartre : « L'enfer, c'est les Autres.2 » Le Graal est hors de portée. D'autres mots doivent sortir, remplir le blanc des pages. Un autre X sur ma carte. Je reprends ma boussole, j'y ajoute un point cardinal : « vanité. »

1Andreï Tarkovski, Solyaris, Moscou, 1972, 169 min, DVD.

2Jean-Paul Sartres, Huis clos, Paris, Éditions Gallimard, 1947, p.92.


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Le second souffle

        Une dame se fige à la vue de son fils mort. Debout au coin d'une rue, les bras le long du corps, il ne bouge presque pas. Elle hésite. Une main sur la joue; la chair froide l'accueille sans frémir. Un cou brisé retient à peine la tête.

Night of the Living Dead, George A. Romero
        À la vue de sa femme, l'homme se met à hurler. Ces yeux laiteux qui le fixent, il ne peut pas croire que ce sont les siens. Jamais il n'a vu sa femme ainsi. Elle est dans le jardin. Ses cuisses tachées de sang bruni rappellent au père le prix qu'il a dû payer pour sauver son enfant. La voyant là, immobile, livide, il se demande si elle lui a pardonné. Il sort, s'approche – elle reste figée. Il s'efforce d'avancer; ses membres s'allègent, sa vision se brouille. Il s'effondre en pleurant, pose ses mains sur des pieds rigides et glacés.

        Le deuil a été ardu. Son père n'avait pas le droit de partir. Vieillard plié, son sommeil l'a emporté. Une vie se vide, puis une rage incompréhensible fait surface, une rage longue à calmer. Elle n'a jamais pu comprendre pourquoi – sans saisir qu'il n'y a aucun pourquoi. Le vieillard se tient derrière elle – plutôt, elle est dos à lui; elle ne supporte pas de le regarder. Elle l'a aimé, tellement; et il l'a fait souffrir. Incapable de combattre sa colère. Il la répugne. Elle se retourne brusquement, fait face à son monstre et l'envoie au diable. Les dents serrées, les yeux rouges, elle lui crache au visage et s'en va.

        Le père se retourne, machinalement, puis se remet à errer dans les rues, parmi les autres, la foule des dépravés, des pourris, des décapités. Ils s'assemblent sans raison, leurs gémissements pesants remplissent les parcs, le creux des forêts, les ruelles. Ces présences reniées ne vont plus tarder à disparaître. De telles ruines n'ont leur place que dans le passé.